Ce n’est pas qu’une question de peinture, si ça change quelque chose.
on a déjà compris la différence entre institution, lieu financé et mis en avant par le pouvoir (les pouvoirs ?) en place à l’instant T, et lieu pas (encore ?) institutionnalisé, auto-financé, financé solidairement, quasi-non financé parfois.

D’ailleurs, que se passe-t-il quand ces derniers bénéficient de subventions et d’aide plus ou moins directe de la place qui pouvoir en place, justement ? ces endroits deviennent-ils institutions par ce simple fait ?
Je me rends au plus d’évènements possibles en ce moment, dans mon environnement proche ou un peu moins proche, qui parle de ça et du travail, et de la relation à avoir, que l’on a avec l’argent, le fait de gagner ou ne pas en gagner.

Espace de discussion féministe, la vie gagnée, séminaires et conférences divers et variés sur la professionnalisation, le monde du travail, l’après-école, l’organisation autonome, formations-explications sur comment se déclarer à l’URSSAF, comment faire des factures, comment faire des devis, chartes de taux de rémunération (horaire et à la tâche), astuces et ateliers collectifs pour déjouer les « pièges », relever les coquilles et les indices, se prémunir et se protéger des projets foireux, énergivores, non-rémunérés, le travail gratuit, lectures autour de tous ces thèmes, partages d’ouvrages et de connaissances, fréquentation de lieux pris et/ou repris à la ville, discussion et négociations avec les mairies, avec la discussion de l’école, appels à projets, demandes de subventions, ventes auto-organisées de son propre travail, ...

Tout ça pour essayer de comprendre à quel point on (j’ai ?) le pouvoir sur ce qui émane de moi (mon travail ?) et les lieux où cela s’ancre, cela a lieu, et ce qui va potentiellement constituer mon « métier » plus tard, maintenant ?
à quel point je peux occuper l’espace, là où j’en suis, là où je suis ? quels sont les obstacles à éviter ?
quelles sont les méthodes à appliquer pour être en adéquation avec mes convictions ?
si je trimballe mon corps, mes travaux, mon attention et mon énergie dans tel ou tel lieu, est-ce que je risque de donner quelque chose (un peu de moi-même ?) à des choses avec lesquelles je ne suis pas en accord ?
est-ce que le temps passé dans un endroit est forcément vecteur de quelque chose, c’est-à-dire, est-ce qu’il va forcément se passer quelque chose ?

Plus j’en apprends, plus je comprends, mais moins j’ai de réponse, moins j’ai de mouvement. Le paysage se densifie de toutes ces questions qui forment comme des panneaux de décor qui ombragent le chemin, je dois regarder beaucoup plus attentivement où je mets les pieds pour ne pas me retrouver ancrée dans des choses néfastes, des choses que je n’aime pas, des choses que je ne veux pas.
Je ne considère pas ça comme un souci, mais peut-être aussi comme un composant du travail.

Commencer à retravailler sous tout ses angles la notion de travail, justement, est fondamentalement important puisque tout à l’heure actuelle m’est renvoyé par ce prisme. L’argent, le métier, le travail, je veux pouvoir manger à la fin du mois, mais je ne veux pas donner à n’importe quoi et je ne veux pas retirer à n’importe qui.
Plus tard, plus tard, qu’est-ce que tu feras plus tard ?
Mais qu’est-ce que je fais maintenant, au juste ?
Tout n’est pas un investissement pour plus tard, ou alors si, mais qui possède une boule de cristal à part celleux qui détiennent les moyens et le pouvoir ?

Si je parle de la peur d’être seule ça n’est pas pour rien, actuellement face à moi le travail est encore incarné par des institutions qui font peur, sont énormes, intimidantes (et discriminatoires et loin d’être sécurisantes), des démarches administratives labyrinthiques et incompréhensibles intuitivement, face auxquelles je n’aurai jamais envie de me retrouver seule, sans béquille, sans épaule, à les combattre, à essayer de les décrypter et de déjouer les obstacles.

Ce sont des endroits où il faut à tout prix faire valoir une puissance personnelle et une mondanité qui ne sont en aucun cas compatibles avec les ressources individuelles de toutes les personnes sur terre.
C’est inégal, c’est absurde.

Si je souhaite me rendre compte que j’ai de la ressource, que mes ami.exs aussi, que nous sommes capables de prendre nos forces respectives et d’en faire des moteurs puissants, ce n’est pas pour donner mon énergie à ces formes effrayantes de travail et d’institutions. C’est pour me/nous en défendre, et j’emploie ce mot avec autant de parcimonie que de conviction intime que j’ai envie de l’utiliser ici ; et ensuite, c’est pour avoir le pouvoir et les possibilités de questionner le fonctionnement de ces institutions, de le dénoncer, et de construire nos propres moyens d’actions, de construire nos propres choses, de renverser ce que l’on nous présente comme déjà acquis et immuable et pas si grave et c’est comme ça que ça marche et j’en passe.

Je pense que chaque génération de personnes s’est retrouvée confrontée à ce genre de questions et de convictions très intimes et très fortes. Seulement voilà, j’observe, dans mon environnement très proche, une incapacité d’un nombre important de personnes, issues de ces différentes générations, à considérer que le phénomène se perpétue et se renouvelle et que dans ce cas, il faut savoir faire preuve d’écoute, et d’attention, et de remise en question.

Quelque chose me revient, en 2018 les cinquante ans de mai 68 ont été glorifiés à la télévision et partout ailleurs tandis que dans les mêmes bulletins d’informations, JT et flash spéciaux, les images d’après étaient celles des terribles black blocs, cortèges de tête et groupes autonomes qui brûlent des macdo et lancent des pavés sur les CRS.
Prenez ces images et mettez-les en noir et blanc. Enlevez les cagoules et les masques si vous le souhaitez, mais faites simplement l’exercice esthétisant de les transformer en images du passé. Cette romantisation d’actes du passé est assez insupportable quand elle côtoie les actes du présent, condamnés, parce que l’on s’aveugle à célébrer le folklore d’une lutte plutôt que de questionner les failles qui existaient, existent toujours, existeront peut-être encore si certaines personnes sont incapables de croire que les manifs que l’on voit à la télé à chaque printemps n’ont pas tout résolu pour toujours.

Pour moi, le parallèle est faisable avec mes questionnements et angoisses et tout le reste sur le monde du travail (et du travail de l'art par extension), parce que trop de choses sont encore teintées de différents archétypes et croyances quant au statut/à la personne de l’artiste dans le monde occidental et capitaliste qui m’entoure : blanc.he, valide, cisgenre, hyper-cultivé.e, provenance classe moyenne-sup mais accepterait de vivre d’amour et d’eau fraîche car ne parle pas d’argent (c’est trop vulgaire), politique mais pas trop, etc...

Et si ce modèle-étalon existe, c’est qu’alors il est discriminant, voire oppressif, car s’il y a un modèle il y a des critères implicites, s’il y a un étalon, il y a possiblement une échelle de valeur. En fait, les choses ne sont pas aussi simples que ça, elles sont beaucoup plus sinueuses, implicites, parfois diluées, mais le problème reste le même : la représentation de « l’artiste » est aussi immuable qu’ennuyeuse (dans tous les sens du terme) s’il ne nous est pas permis de la questionner, de la critiquer et de la transformer. Elle appartient d’ores et déjà, à mon sens, à des mythes qu’il faut pouvoir changer, sans doute avec actes, pensées et écoute, et remise en question, elle appartient à des visions du passé qui sont encore glorifiées et institutionnalisées alors qu’on se rend compte qu’il s’agit d’une représentation incomplète, euphémisme pour ne pas dire excluante, loin de la réalité et hors-sujet la plupart du temps.

Et pour un cours tout à l’heure, je dois réaliser une petite projection mentale, quelle serait ma situation idéale dans cinq ans ?
mettons que je l’envisage au travers d’une activité artistique que j’aurai conservé comme gagne-pain, comme travail, comme revenu, comme métier.
ça n’est pas si simple : mes visions idéales se confondent avec les impasses que je connais déjà, et pourtant j’ai la volonté d’avoir de l’espoir quant à la possibilité d’atteindre quelque chose de plutôt correct.
Correct en termes de quoi, d’ailleurs ? de revenus, de situation ? D’entourage, de lieu de travail, d’infrastructure ? De productivité, d’inspiration ?
Je veux bien faire un schéma mais cela ressemble à une liste de noël, à un souhait, c’est compliqué d’avoir une vision de quelque chose qui semble réaliste et pas démesuré, et pourtant. Un atelier, des revenus décents et du temps pour se reposer ce n’est pas non plus demander un château, une fortune et des vacances illimitées à la demande.

Je vous laisse maintenant, je vais être en retard.