car quand j'y pense, pendant longtemps, pendant une bonne partie de ma vie, pendant une quantité abstraite de jours, de mois, de nuits, de situations et d'années (?) évidemment que je savais déjà qu'une fille/une personne autre chose qu'un garçon blanc, cisgenre et hétérosexuel, était capable de faire telle ou telle chose, et en même temps non, je ne le savais pas, parce qu'on ne me le disait pas, ou bien on ne me le montrait pas.
Je préfère me le répéter tous les jours :
fais ce que tu veux,
tu en es capable,
tu es capable de vouloir,
tu es capable de faire,
tu es capable d'apprendre ;
Mais ce qui est paradoxal, c'est que j'ai l'impression qu'une conception, une pensée, un sentiment instille souvent mes pensées et mes ressentis profonds. Elle est assez nocive et perverse, elle m'empêche.
C'est l'impression que si j'essaye quelque chose et que je rate, que ça ne termine pas comme prévu, alors j'aurais été tout à fait présomptueuse et dénuée d'intuition de simplement m'être lancée dans l'action. J'aurais été têtue, embarrassante, j'aurais pris de la place, pour rien... pour rien ?

Alors pourquoi moi,
Dans l'ordre chronologique d'action :
tu es capable de vivre
tu es capable de découvrir
tu es capable d'avoir envie de
tu es capable de tendre vers
→ en réaction à cela,
tu es capable d'essayer
tu es capable de tester
tu es capable d'oser
→ par la suite, suivant le résultat
tu es capable d'apprécier ce qui suit
tu es capable de louper
et ça n'est pas grave
On me montrait simplement que les filles ça aime le rose. Que les filles, c'est gentil, c'est poli, ça ne fait pas trop de bruit, ça ne prend pas trop de place, que ça a de bonnes notes à l'école, que ça a des sentiments, que ça doit être mince, que ça doit être beau, que ça doit être non-négligée, que c'est là pour plaire, que ça met des robes...
On ne m'a jamais dit qu'une fille ça peut soulever une plaque en métal qui pèse cinquante kilos, avec son dos, pour son propre loisir. Que ça peut soulever une plaque en métal de cinquante kilos avec son dos, avec des vêtements recouverts de boue et de calcaire, une lampe frontale sur la tête, un sac à dos et des bottes crasseuses, les jambes fatiguées de beaucoup de marche, les poches et le cœur remplis d'adrénaline, si ça décidé de le faire.
Et le lendemain ça peut mettre du vernis, des perles, un jogging et des talons, tout en même temps si ça a envie. Et le surlendemain s'attacher les cheveux. Le jour d'après les détacher. Le jour d'encore après, les couper au ras de la tête si ça lui chante. En fait on ne m'a jamais dit qu'une fille, ou toute autre personne autre qu'un garçon blanc, cisgenre et hétérosexuel, ça peut faire tout ce que ça veut sans avoir à se justifier. Des tonnes de personnes le savent déjà, ce que j'écris, mais des tonnes d'autres personnes demandent encore des comptes lorsqu'on agit et avance avec cette conviction-là en tête, alors je préfère le répéter.
Est-ce que c'est un effet secondaire du système productiviste qui m'entoure, chaque action entamée doit aboutir à un résultat probant – une réussite totale et brillante ? Un élément concluant, bien rempli et bien ficelé ?

Est-ce que c'est un effet secondaire du patriarcat qui me fait voir qu'une femme correcte c'est quelqu'un qui réussit, ou bien qui se tait ?

et ça n'est pas grave
j'ai besoin de me répéter si souvent « tu es capable, tu es capable, tu es capable... » si je considère ce besoin de réussite et d'efficacité comme empoisonné ?
ça n'est pas grave ?
De la même façon, s'étendre sur ces mots-là précisément, je ne sais pas si c'est ce que je veux vraiment faire ici.
Je suis confondue quand j'y repense parfois, parce que ma réponse à cette remarque pourrait osciller entre les deux extrêmes que j'ai en tête, à savoir
« ah ouais, tu savais pas ? Regarde alors »

« moi non plus, je savais pas »
et